AU REVOIR LA FRANCE



Mes descentes vers l’Afrique de l’Ouest par la route.
Avant de me rendre au port de Barcelone et d’embarquer pour Tanger, j’ai la bonne idée de vérifier les niveaux de la voiture : plus d’eau. Je m’arrête tous les trente kilomètres pour en rajouter. Au moment de monter sur le ferry, la 505 Peugeot ne démarre plus et les placiers me poussent à contre-cœur pour relancer le moteur. Je ne suis plus très sûr de mon acquisition, ni de pouvoir rejoindre Pascal en Mauritanie dans quelques jours comme nous l’avions prévu. La voiture "Au revoir la France", comme les Africains nomment les tacots que nous leur acheminons, atteindra-t-elle l’Afrique où elle est promise à une seconde vie ? Moi-même un peu plus vieux qu’elle, oserais-je espérer y trouver un second souffle ? Car c’est un peu cela que je descends chercher : la brise d’une aventure à ma portée et l’oubli momentané de notre Occident dénaturé et saturé dont je suis, à l’instar de mon automobile, un rebut.



Depuis le décès de François à Conakry, je voyage avec Pascal qui fit avec lui, comme moi, sa première descente — il fallait alors traverser le désert, la route ne ralliait pas encore Nouakchott. J’ai eu de la chance de participer aux dernières traversées, c’est déjà presque de l’histoire ancienne. Pour réaliser la disparition de notre ami nous avons trouvé judicieux de reprendre la route puis le rythme insufflé à nos chevauchées s’est essoufflé peu à peu — dénouement probable de nos aventures africaines avec Pascal, nous le pressentons.
À tombeau ouvert, qui fut le titre provisoire de cette histoire, n’est plus la formule requise. Il est clair que nous ne voyageons plus de cette manière énervée et sur le fil du rasoir propre à François, parfois sans cric ni roue de secours. Avant de ressembler à de vieux toubabs le cul vissé à notre siège, avec nos voitures devenues trop vieilles pour plaire encore et notre nostalgie de sensations africaines, coupons le moteur.