Contrairement à mon attente, mon ex petite amie n‘est pas venue me dire au revoir avant le décollage. Je téléphone à la maison, sa maison, et laisse un message dans un interstice électronique glacé. C’est le cœur vide que je me jette dans ce voyage mal défini. Je pars à contre pied. L’avion prenant de l’altitude, mon humeur ne gagne pas en légèreté. Acouphène désagréable. Peu de passagers, seuls quelques couples isolés, à l’arrivée : Antalya, sa Turquie de catalogue touristique, sa baie, ses jonques. J‘entretiens mon moral à recours répétitif de fioles de Jack Daniels, ce qui me donne droit à une réflexion de la part de l‘hôtesse :
— Mais Monsieur, l’avion ne se rend pas à New-York !
Je débarque la tête lourde. J’attend la première navette pour le centre-ville dans une baraque à thé affaissée, perdue au cœur des terminaux neufs. Je tue le temps et voudrais tuer l’espace, pourquoi pas ? Ici où ailleurs, l’ailleurs est devenu l’ici. La vie devant moi ou bien le vide, une vague destination s’il en faut une : la Transcaucasie.
Bakou, fin du voyage, mon aventure tire sur la corde. Je trouve sur Internet Cocagne, le récit de voyage d’un Français en Azerbaïdjan et au Daghestan en 1997. Denis Bourgeois, l’auteur, désabusé autant que moi, réalise que s’être mis sur les traces d’Alexandre Dumas, de passage au Caucase en 1859, n’était qu’un prétexte fragile à sa curiosité et qu’il n’a pas tenu. En même temps que se délite l’intérêt déjà amenuisé qu’il prêtait au récit autobiographique de l’écrivain, il semble se désintéresser de ce qui lui arrive à lui-même, bringuebalé plusieurs jours par un fixeur (informateur) buveur et manipulateur. Il abdique et subit son voyage comme une dérive acceptée.
« Je suis allé ailleurs pour rester à distance, aujourd’hui j’écris de ma ville natale. Je ne rêve plus de lointain, la distance s’estompe entre moi et moi, de moi aux autres, je regrette d’avoir joué cette comédie du grand reportage ! » Écrit-il.